Sortie littéraire des HK à Bonlieu

Le mercredi 2 avril, les élèves d’Hypokhâgne du lycée Berthollet ont assisté à la représentation des Fausses Confidences de Marivaux au Théâtre Bonlieu – Scène nationale d’Annecy. 

La mise en scène était signée Alain Françon, figure majeure du théâtre français contemporain, connu pour son travail précis sur les textes classiques et son exigence de direction d’acteurs. 

Ancien directeur du Théâtre national de la Colline, Françon est particulièrement réputé pour ses mises en scène de Tchekhov, de Feydeau, de Thomas Bernhard — et désormais de Marivaux.

Son importance est centrale dans cette représentation car c’est sa lecture et son appropriation du texte qui donne vie à la pièce de la manière dont il l’entend, accompagné de débats avec ses comédiens, très à l’écoute.

          Cette production, portée par une troupe de comédiens aguerris, proposait une lecture moderne et épurée de la comédie de 1737, en jouant sur les contrastes entre sobriété scénographique, audaces sonores et dynamique des corps. Une mise en scène qui permet au théâtre de se regarder lui-même, entre jeux de miroirs et faux-semblants. 

Tous les ingrédients étaient réunis pour passer une soirée exceptionnelle.

Le rideau s’ouvre sur un air de rock, des sonorités métalliques dynamisent l’introduction et concordent étrangement bien au décor sobre, représenté par trois façades de couleurs différentes, aux multiples ouvertures et fenêtres. 

Une masse sombre, celle du Valet industrieux Dubois, interprété par Gilles Privat, désormais au service d’Araminte, interprété quant à elle par Georgia Scalliet et anciennement au service de l'honnête homme Dorante, le comédien Pierre François Garel, dispose le mobilier. 

Nous noterons une habile mise en abyme du théâtre, puisque ce personnage modifie la mise en scène à l’image du metteur en scène lui-même et cet aspect méta-théâtral trouve un écho dans la pièce, qui recèle d’une mise en scène de comportements résultant du stratagème, maître mot des Fausses Confidences. 

Le comédien de Dubois a su incarner à merveille son rôle, par sa diction et ses mimiques. Il en est de même pour son ami et ancien maître Dorante, amoureux d’Araminte, une riche veuve pour laquelle nous nous attarderons par la suite. 

Saluons également le jeu de l’oncle de Dorante, Monsieur Rémy, dont le rôle est occupé par Guillaume Lévêque, qui, par sa dévotion, donne vie comme nous pouvions l’attendre à un personnage pourtant destiné à rester au second plan. Ce personnage complétait en effet le dynamisme instauré par la bande musicale.

La comédienne Yasmina Remil dans le rôle de Marton est aussi remarquable pour son jeu, au même titre que Dominique Valadié qui jouait elle, Madame Argante, mère d’Araminte, lesquelles ont provoqué chez le public quelques rires sincères.

Et tandis que le valet Arlequin,interprété par Séraphin Rousseau, figure comique et candide, apportait de la légèreté au tohu-bohu ambiant, le riche prétendant d’Araminte, le Comte Dorimont qui est l’acteur Alexandre Ruby, était malheureusement trop en retrait. Nous pouvons toutefois pardonner à ce dernier qui n’était pas destiné à occuper un rôle central.

Mais il est désormais temps de vous toucher quelques mots au sujet d’Araminte, puisque ces mots ne nous ont pas touchés. 

“Douteux il ne l’est point” déclarait Dorante au sujet du mariage pressenti entre le Comte et Araminte, mais le jeu de cette dernière lui laisse des doutes. 

Était-elle sciemment monotone, ou n’a t-elle pas su embrasser son rôle?

Lorsque Dubois délivrait sa célèbre citation “ quand l’amour parle, il est le maître”, nous n’avons pu contenir un petit rictus, puisqu’encore faut-il laisser l’amour s'exprimer.

Le jeu d’Araminte était morne, plat, presque morose et austère. 

Entre une actrice désabusée et un bénédictin, le spectateur pouvait s’y méprendre.

En somme, dans une pièce bordée de faux-semblants, nous faire grâce de son masque robotique eût été opportun.

L’interprétation virtuose de Monsieur Rémy, Dubois ou Madame Argante déboulent telle une aubaine, permettant de rehausser la barre sévèrement abaissée par la veuve. Ce décalage nous mène de surcroît à la conclusion suivante. 

Cette pièce possède une bonne mise en scène. La prise de risque vis à vis de la bande musicale se révèle être un avantage. Son point fort repose sur une interprétation juste, qui rend hommage à la somptueuse langue qu’est le français du XVIIIe siècle. Certains personnages occupent à merveille leurs rôles, à l’image de Dubois, de Monsieur Rémy, d’Arlequin ou de Madame Argante, puisqu'ils sont à leurs places.

Le défaut majeur de cette pièce réside dans le fait que certains personnages n’occupent pas autant de place qu'ils le devraient, comme le Comte, presque absent, et Araminte, décevante.

La hiérarchie est donc renversée, puisqu'une figure centrale telle que la veuve laisse à désirer, alors que le personnage d’Arlequin retient plus notre attention par son jeu  marquant. Il prend ainsi la place, malgré lui, d'un personnage central, alors que ce ne lui est pas destiné.

A tout prendre, lorsque nous, spectateurs étions censés assister à une pièce où tromperie et secret se mêlent pour permettre la mise en place de l’ironie dramatique si subtile et spécifique du théâtre de comédie, nous voilà à notre tour trompés, trompés par un jeu d’acteur si fade et monocorde qu’il ne laisse au public qu’un rire gêné, face à une pièce où l’inégale prestation des comédiens et comédiennes ne peut permettre à la représentation d’accéder à une dimension plus saisissante, que la pièce de Marivaux mérite pourtant. 

Nous concédons que l’angoisse d’une représentation affecte la prestation d’un acteur, et que l’austérité d’Araminte est peut être le fruit de l’appréhension de l'actrice. Toutefois, la maîtrise de sa crainte est la clé de voûte du jeu d’un acteur, sans laquelle sa prestation devient stérile, puisque le stress paralyse.

 Il paraît cependant bienvenu de saluer son jeu, sans lequel nous n’aurions pu alimenter notre critique de cette manière.

Entre rires sincères et incompréhension face au jeu presque désabusé d’une actrice difficile à cerner, le moins que l’on puisse penser de cette représentation d’Alain Françon, est que celle-ci ne laisse pas grand monde indifférent, salut et critique du public se mêlant, nous donnant alors comme seule possibilité de vous inviter à aller de vous même voir cette représentation